L’histoire de la naissance de Junon

Autant je n’ai aucune difficulté à me remémorer en détails le déroulé de l’accouchement, autant, la semaine qui a précédée n’est qu’un immense brouillard. J’ai eu besoin de demander à Jérôme et ma sage-femme de m’aider à dérouler le fil de cette histoire de dépassement de terme.

J’avais déjà dépassé mon terme pour Roméo. Je m’y étais préparé pour cette grossesse, mais sans réellement y croire. J’étais tellement confiance, sereine, épanouie, je n’ai jamais douté que le travail se mettrais en route les jours entourant le terme. Mais c’est vrai, que j’étais tellement bien enceinte, aussi bien physiquement que moralement que j’ai mis très longtemps à me sentir prête à rencontrer mon bébé.

Mon projet était d’accoucher à la maison de naissance Premières Heures au Monde, où est né Loni, où je travaille, où je connais toutes les sages-femmes. C’était presque comme un projet d’accouchement à la maison, tant cet endroit c’est devenu chez moi. Je n’avais aucune inquiétude concernant la naissance. Mes sages-femmes m’avaient proposées de faire un projet de naissance pour la maternité au cas où je serais transférée, mais je n’y suis pas parvenue. Je n’arrivais pas à me projeter dans une situation de transfert, et je ne savais pas quoi y écrire. Je n’étais pas dans le deni, mais j’étais pleinement confiante.

Du 27 juin au 2 juillet

Cet état d’esprit a été éprouvé par le dépassement de terme. Car à partir de ce moment là, j’ai commencé à douter de moi. Les comptes à rebours ont commencés, d’abord j’avais six jours, à conditions que les contrôles (écho et monito) soient bons. Mais à J+2, au soir, j’ai fissuré la poche des eaux. Le compte à rebours s’est rétréci. Des monitos, des antibios, la surveillance s’intensifiait. Il a fallu faire garder les enfants pour se rendre à ces contrôles. Nous avons tenté toutes les méthodes possibles de déclenchement naturelle. Je me suis dit qu’il n’y avait pas de raison, que le travail allait se mettre en route. J’y ai tellement cru, que ça s’est produit, dans la nuit suivant la fissure, les contractions sont arrivées, à 4h du matin, nous sommes partis à la maison de naissance. Mais au bout de quelques heures, le travail s’est arrêté.. d’un coup. Alors ma sage-femme Nathalie, a négocié avec la maternité 24h supplémentaire avant le déclenchement. Le rendez-vous était pris pour le samedi matin à 7h. La bonne nouvelle était que Nathalie était d’accord pour nous accompagner pour cette naissance en plateau technique.

Le plateau technique c’est quand une sage-femme libérale utilise une salle de naissance à une maternité pour accompagner les patientes qu’elles suivent pendant leur accouchement. Nathalie est l’une des sage-femme de la maison de naissance qui a signé une convention avec la maternité pour accompagner en plateau technique.

A ce moment là, le compte à rebours se réduisait à quelques heures. J’avais des contractions mais rien de régulier. Alors j’ai décidé d’aller au spectacle des enfants. C’était un moment improbable, j’étais sur le fil de mes émotions. Je n’avais pas vu mes enfants depuis la veille, je savais qu’ils allaient être terriblement déçus de me voir débarquer avec mon gros ventre, mais heureux de me voir tout court. J’ai pleuré devant leurs petites danses, j’ai tenu la main de mon ainé tout le spectacle. Ils m’ont énormément manqué pendant cette semaine, nous étions tous extrêmement vulnérables émotionnellement. Et puis après le spectacle, ils sont de nouveau partis avec leurs grands parents, puisqu’il fallait que le soir même je fasse un monito et une dose d’antibio, et que le lendemain, nous avions rendez-vous à 7h.

Pendant toutes ces journées, j’ai beaucoup douté, culpabilisé, été en colère contre mon corps, j’ai beaucoup cheminé, j’ai fait plein de deuils, dont celui d’avoir un bébé de Juin (le mois du prénom Junon), celui d’accoucher à la maison de naissance, et le plus difficile, celui de ne pas avoir de travail spontané. Ma sage-femme m’a dit que tout cela, toute cette histoire me serait utile à ma vie, et que même si ce n’était pas évident pour l’instant, elle était persuadé que ça ferait sens pour moi à un moment et je la crois profondément.

J’ai beaucoup souffert des différentes séparations avec mes enfants, et j’ai difficilement accepté de perdre tout contrôle. Je n’avais jamais mis un pied en salle de naissance de la maternité, je n’avais aucun repère, j’avais peur, vraiment peur. de l’inconnu, du déclenchement, de la douleurs des contractions induites, que tout cela gâche la rencontre que j’attendais tant.

La veille j’ai puisé de l’énergie auprès des femmes qui m’avaient accompagnée pour ma célébration à la maternité, auprès de mes enfants pendant leur fête, et puis je me suis notée des phrases positives dans la paume de ma main comme une antisèche à la peur.

Le 2 Juillet

Je me suis levée en ce samedi dans la joie, j’avais rendez-vous avec mon bébé. J’étais dans l’acceptation, j’étais prête à emprunter ce chemin qui n’était pas celui que j’avais choisi mais qui me menait au même endroit, au plus joli des endroits.

Bonne surprise, en salle de naissance, nous sommes seuls, c’est une journée très calme. Nous sommes accueilli par Gwendoline qui est adorable et très disponible. Je lui explique directement que je préfère un tampon hormonal à une perfusion. En effet, avec un tampon, il y a un contrôle monito au départ, mais après, on est libres de se balader, de s’installer en chambre, et de laisser le travail se mettre en route. Alors qu’avec une perf on est directement en salle de naissance et sous monito continu. D’autre part, j’ai déjà connu un déclenchement avec un tampon, pour Mona et cela s’était très bien passé donc ça me rassurait beaucoup. Gwendoline est très à mon écoute, elle me sourit et me dit « je vais un peu mentir au gynéco sur l’état de votre col alors ». Car c’est le gynéco qui doit valider le mode de déclenchement et aussi donner son accord pour le plateau technique.

Gwendoline revient au bout de quelques minutes, c’est ok pour le tampon et pour la plateau technique. Le tampon est posé à 8h15. Il faut ensuite rester deux heures sous monito. C’est long mais on blague avec Jérôme, l’atmosphère est détendue, je n’ai pas de contractions. Elles arrivent à 10h et c’est bientôt la fin du monito, nous avons un tapis, deux ballons, je cherche des positions confortables.

10h20 Gwendoline vient pour arrêter le monito. Comme il n’y a personne, elle nous propose soit de rester dans cette salle de pré-travail, soit de monter dans une chambre de suite de couche. Dans les deux cas, nous avons une salle de bain à disposition, et nous pouvons installer nos affaires, fermer les volets, nous mettre dans notre bulle. Le prochain contrôle n’est que dans 4heures. Ce qui me fait choisir la salle de suite de couche est qu’un petit dej nous y attend et j’ai faim.

Nous avons 2 couloirs à traverser et un ascenseur à prendre, ce n’est pas très long mais les contractions s’invitent à la promenade. Arrivée en chambre je n’ai plus du tout faim, c’est Jérôme qui englouti mon petit dej. Moi j’enfile le kimono que j’ai prévu pour l’accouchement, et rapidement, je file sous la douche. L’eau chaude sur le ventre et dans le dos me fait un bien fou. Je commence à « chanter » en faisant des ahhhh. Jérôme passe donc un message à Nathalie, c’est l’heure pour elle de venir, le travail est lancé.

Et là… elle lui répond qu’elle est déjà sur le parking! Je ne sais pas du tout par quel éclair de génie elle a décidé de partir de chez elle pour nous rejoindre, mais grand bien lui en a pris, car sinon elle ne serait jamais arrivé à temps.

Jérôme me presse à sortir de la douche, je le fais patienter en lui disant « encore la prochaine contraction sous la douche.. ». Il m’enroule la serviette éponge autour du ventre, car je ne suis qu’en kimono, ce qui n’est pas très couvrant pour arpenter les couloirs. Le retour en salle de naissance sera long et ponctué de nombreuses pauses sonores. Les contractions sont courtes, cela me fait douter de leur efficacité mais elles sont très très rapprochées.

Arrivés devant la porte battante des salles de naissance, je suis penchée sur une barre en train de vocaliser ma contraction, et j’entends des petits pas, j’espère de toutes mes forces que ce soit Nathalie, je reconnais ses crocs roses et son pantalon, je l’enlasse de soulagement. C’est bon, elle est là, tout est prêt pour moi, tout est prêt en moi.

En arrivant Gwendoline me demande ce que je veux faire, où je veux m’installer… Je me suis plus en mesure de réfléchir, je lui dit juste que j’ai encore du temps car les contractions sont courtes. C’est Nathalie qui prend tout en main, elle explique qu’il ne faut plus que je change de pièce, qu’il faut que je m’installe que je me mette dans ma bulle, donc que nous allons directement allé en salle de naissance. Gwendoline nous a réservé celle qui se prête le plus aux accouchements physio, et qui a un monito sans fil (elle est gentille). Je regarde en entrant l’énorme horloge digitale, il est 11h17. A peine arrivés, Jérôme baisse les volets, on m’amène les ballons, des tapis, on installe nos draps. La playlist d’accouchement que j’ai tant écouté toute la semaine démarre, cela m’ancre dans le moment. Jérôme pose en face de moi la bougie de la célébration à la maternité, la guirlande des mots écrits par toutes mes amies, la carte Pokémon de mon neveu, le Playmobil de Loni. Et Nathalie entre deux contractions me propose de lever les yeux pour regarder cette installation, cela me donne énormément de courage. Je lui dit de faire le message whatsapp pour donner le signal que le travail est lancé et que les filles peuvent allumer leur bougie de leur côté. Je verrais plus tard qu’il était 11h37 lorsqu’il a envoyé ce message.

Je suis à quatre pattes, accoudé au lit, je ne peux plus changer de position, je sens bien qu’à chaque contraction, mon corps me prépare à bientôt pousser mais mon cerveau n’est pas prêt, après cette trop longue attente, voilà que le travail est bien trop rapide, je ne peux pas croire qu’on en soit déjà à la fin. Je pousse… mais doucement, c’est la poche des eaux qui éclate dans mon slip. Cela nous fait une bonne raison d’enlever la culotte. Je pousse encore une fois, et je sens la tête qui s’engage, je le dis « elle arrive », Nathalie acquiesce et me félicite. Jérôme pense que c’est juste pour me donner du courage, alors Nathalie lui propose de venir poser la main. Et là, j’entends sa voix qui m’encourage avec toute la tendresse et l’émotion du monde « oui elle est là, je la sens! ». La poussée est intense, puissante, j’ai l’impression que mon énergie se disperse dans la pièce avec mes vocalises (à ce stade là ce sont plutôt des cris). J’ai eu une seconde de désespérance à ce moment. J’ai dit « je ne vais pas y arriver », et en moi je me disais « tu fais une phase de désespérance avec ton bébé dans le vagin, c’est n’importe quoi!! » Quelques jours avant j’avais retrouvé le sifflet d’accouchement de Loni et je l’avais glissé dans ma valise, je le réclame. Cela me donne l’impression de canaliser toute ma puissance et de la diriger vers ma fille. Mon corps travaille seul, il sait faire, c’est d’ailleurs ce que Nathalie me murmure. C’est le cercle de feu, sa tête sort, Jérôme m’annonce « tu avais raison, elle a des cheveux ». J’attends la contraction suivante, je sens sa tête entre deux mondes qui bouge… c’est incroyable. Cet instant est irréel, elle est à la fois au monde et encore un peu, juste à moi. Je crois que je profite de ça, sans vraiment le réaliser. A la poussée suivante, elle glisse, c’est doux, elle est là, elle est née, je l’enlace sans la porter, j’ai besoin de la regarder, la première chose que je dis est « j’y croyais plus ». Il est 11h52

Ce moment de la rencontre est tout simplement magique, elle est toute rose, elle plonge ses yeux dans les miens, son crâne est tout rond. Je la scrute, je la reconnais, elle pousse son premier cri, alors je l’attrape et la love contre moi, je la sens, je la reconnais encore. C’était d’une puissance infinie.

Nathalie me propose de m’allonger sur le lit pour profiter de ma fille. Rapidement j’ai envie de pousser le placenta, j’ai surtout envie que ce soit terminé, il sort facilement. Nous l’observons sous toutes ses coutures. Nous ne coupons pas le cordon, le placenta reste accroché à Junon, juste à côté de moi pendant nos deux heures collées serrées de peau à peau .A l’issue de ces deux heures, c’est pour la première fois, moi qui ait coupé le cordon et non son papa, et ma sage-femme a fait une emprunte du placenta sur une feuille de papier. Notre lien à trois a été extrêmement respecté, Nathalie nous a laissé seuls un long moment et personne d’autre n’est entré. La seule chose qui nous a manqué par rapport à la maison de naissance a été le lit double pour se câliner à trois. Jérôme a donc collé le fauteuil à nous.

Cet accouchement était très fort, presque trop rapide après cette attente si longue. Je l’ai savouré en pleine conscience, je ne voulais pas en perdre en miette. Je suis heureuse car contrairement à ce que je redoutais, cet enfantement a été très joyeux, nous nous sommes construits plein de souvenirs pendant cette matinée. Les contractions induites ont été très rapprochées, ce qui expliquent qu’elles étaient assez courtes, mais extrêmement efficaces. Je suis allée à la rencontre de ma puissance en cheminant vers mon bébé.

Je n’étais pas à la maison de naissance mais la magie et l’énergie y était, grâce à notre sage-femme et aussi à toutes les pensées des autres sages-femmes qui m’ont vraiment accompagnées. Peu importe l’endroit, nos désirs ont été parfaitement respectés. Et la présence de Nathalie était tellement précieuse, j’étais capable de tout, avec elle à mes côtés.

A 15h, nous prenions notre bébé tout neuf, j’enfilais la robe fleurie avec laquelle je m’étais imaginée rentrer chez moi pendant ma grossesse. Nous sommes passé voir Gwendoline, la remercier de sa gentillesse. Elle nous a féliciter pour cette super naissance et été très étonnée de me voir si en forme pour rentrer chez moi. Comme nous étions garés côté maison de naissance, nous sommes sortis par la maison de naissance accompagnés par Nathalie, c’était une façon de boucler la boucle.

La rencontre avec ma fille ne me laisse aucun regret, je me souviendrais à jamais de ses yeux dans les miens, de cet amour autour de nous. Je me remémore avec délice toutes ces émotions et sensations qui m’ont menées à Junon.

En revanche, je sais que l’angoisse générée par le combo dépassement de terme, fissure des eaux m’a laissé quelques traces. De même je n’ai pas encore réussie à faire la paix avec mon corps qui n’a pas su se mettre en route. Je continue à ressentir comme une défaillance, et cela est très ambivalent car l’accouchement m’a apporté aussi de la confiance en mon corps… Je suis donc exactement dans le même temps, terriblement en colère et fière de mon corps.

L’empreinte du placenta
Le « sifflet » d’accouchement

15 réflexions au sujet de « L’histoire de la naissance de Junon »

  1. Quelle aventure. Tu m´as mis les larmes aux yeux. Et je comprends ta colère envers ton corps. J´ai été aussi très en colère quand on m´a annoncé que lon accouchement que je souhaitais naturel serait une césarienne pour cause de placenta recouvrant…il a fallu faire le deuil et ca a prit énormément de temps. Meme maintenant 4 ans après je ressens de la frustration.
    En tout cas, bienvenue à Junon qui est adorable. Et plein de bonnes choses a vous 6.

  2. Je finis la lecture les larmes aux yeux, touchée par ce temoignage si personnel et si universel à la fois. Bienvenue à Junon, bonne route à votre jolie famille

  3. La puissance de ton texte, je suis envahie d’émotions c’est si beau.
    Et je savoure ma chance d’avoir pu accoucher mieux que dans mes rêves à la maison de naissance un nid pour naître.
    Je te souhaite un beau début de post partum, aussi doux que cette quatrième grossesse

  4. Oh ma Deb, c’est si émouvant ! Tu est si résiliante et puissante, bravo à toi, tu as été incroyablement forte !
    J’ai eu des petites larmichettes au yeux et ça m’a donné envie de relire mon récit d’accouchement et de regarder les photos de Némi qui venait de naitre.

  5. Quelle aventure, merci de tes jolis mots. Tu y présentes si bien toute la puissance et toute la fragilité à la fois d’une femme qui accouche. Je t’embrasse

  6. Que d’émotions en lisant ton récit… j’en ai encore les yeux mouillés.
    Quelle magnifique rencontre, quel magnifique bébé… et quel magnifique prénom!
    Merci pour ce partage, et merci pour ton authenticité et ta simplicité. C’est un bonheur de te suivre

  7. Encore bcp d’émotions a te lire, j’ai les larmes aux yeux. Tu as une force inter incroyable.
    Mon dernier m’en a aussi fait voir de toutes les couleurs. A cause d’un placenta praevia une césarienne est programmée. Mon médecin accoucheur a souhaité faire une echo avant et la comme par magie il a reprit sa place physiologique. J’avais tres mal vécu l’annonce de la césarienne mais j’avais fini par l’admettre, le risque de perdre la vie et mes enfants m’avait fait réaliser la dangerosité. Finalement c’était partie pour un accouchement par voie basse. Mais 6 jours apres le terme ce bébé (dont je ne connais pas le sexe) était tjrs dans mon bidou. J’ai du être déclenchée mais apres plusieurs heures, rien ne vient. Il est de nouveau envisagé une césarienne. Je te passe les montagnes russes de mes émotions. Et puis LA sage femme formidable, douce, avec de l’expérience qui tente la manœuvre qui fera que mon bébé verra le jour tel un bouchon de champagne. Il s’appelle Timothé et son deuxième prénom est Tanguy 😉

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