L’écoféminisme

Cet article, je vous l’ai promis, il y a déjà plusieurs semaines. J’aurais pu l’écrire avant, mais la vérité c’est que le sujet m’a et continue de me passionner, à tel point que je me suis laissé ensevelir sous les lectures et écoutes de podcast jusqu’à moi-même perdre le fil de ce concept complexe. Rédiger cet article a donc aujourd’hui deux objectifs, celui de vulgariser ce que j’ai compris auprès de vous, mais également de synthétiser ce que j’ai appris… pour moi!

C’est quoi l’écoféminisme?

L’écoféminisme est une pensée distincte des courants féministes, c’est pour cela que je ne l’ai pas intégré dans l’article qui détaillait les différentes formes de pensées féministes. Ce n’est pas non plus l’addition du féminisme et de l’écologie. C’est d’ailleurs pour cela qu’on peut être féministe et écologiste sans être écoféministe. En revanche il faudra bel et bien être les deux pour adhérer à la pensée écoféministe. (oulala il y a déjà beaucoup de répétitions en quelques phrases).

L’écoféminisme est un mouvement d’action est de pensées né à la fin des années 70 qui articule féminisme et écologie dans une même logique d’oppression et de domination.

On peut imaginer ce lien de différentes manières. Que la domination des femmes par les hommes leur ait inspirée la domination de la terre, ou bien que ce se soit fait dans le sens inverse. On peut également imaginer que c’est juste la même logique de surpuissance qui a nourri les deux formes d’exploitation. Les écoféministes ne sont pas toutes d’accord sur la genèse du lien, et la plupart ne s’intéressent d’ailleurs pas à l’origine de la domination en tant que telle. Ce qui va les intéresser c’est de comprendre les mécanismes d’un système oppressant, construit uniquement dans la dualité (homme/femme, nature/culture, blanc/noir, homo/hétéro etc), et comment s’en affranchir.

« Petite » Histoire

Au commencement

C’est un mot que l’on doit à une française, écrit pour la première fois en 1974. Cette femme c’est Françoise d’Eaubonne, penseuse et activiste aussi bien dans le champ du féminisme, de l’écologie que des luttes homosexuelles (et aussi de la libération sexuelle en en général). Son travail et sa pensée sont passionnants, ces écrits sont réellement visionnaires, à tel point que je me demande comment elle peut être tant oubliée aujourd’hui. En terme d’écologie elle s’appuie sur le rapport Meadows de 1973 qui prédisait un effondrement de notre système de l’hypercroissance entre 2020 et 2030!

Elle consacre plusieurs essais à l’écoféministe où elle définit avec beaucoup de justesse le « système Mâle », autrement dit tout notre système de pensée et d’action basé sur la domination du masculin et de ces attributs genrés (force, domination de la nature, pouvoir, enrichissement etc).

Ailleurs

Bien que le mot émerge en France, il n’y rencontre aucun echo à cette période (nous verrons brièvement pourquoi après). Par contre de nombreux mouvements dans le monde vont avoir lieu à ce moment de l’histoire qui vont ensuite être revendiqués d’écoféministes. Les plus parlants, pour n’en citer que deux: Greenham Common en Angleterre, une base de missiles nucléaire occupé par des femmes pendant 19 ans!!! Et le mouvement Chipko en Inde où des femmes vont encercler des arbres pour éviter leur abattage.

Suite à ces rassemblements de femmes pour des causes écologiques (notamment anti nucléaire dans les pays anglo saxons), le concept de l’écoféministe va éclore un peu partout.

Une pensée pluridisciplinaire peut-être trop complexe

La diversité

Ce qui est très intéressant avec l’écoféminisme est également ce qui dessert le plus cette pensée. Les idées qui le composent et le nourrissent sont tellement riches et variés que cela en devient compliqué et contradictoire. De plus, existant dans plusieurs pays avec des cultures différentes, il va recouvrir des réalités multiples.

Il y a les écoféministes venant du féminisme, d’autres de l’écologie, mais aussi du politique, des sciences sociales, de la psychologie, de la philosophie, du mouvement anti coloniale, ou encore de la religion, du spirituel… Et toutes les personnes se revendiquant écoféministes n’adhèrent pas aux même pratiques, parfois même cela peut être radicalement contradictoire… Il y a celles qui vénèrent la tête Mère, celles qui prônent la non mixité, celles qui préfèrent l’autosuffisance, et celle qui veulent renverser le système, il y a celles qui se revendiquent sorcières, celles qui ritualisent le féminin sacré et celles qui n’oublient pas les femmes qui ne le sont pas par nature. Alors comment s’y retrouver?

Ce qui est certain c’est que ce n’est pas une théorie fixe et rassurante à laquelle s’accrocher comme une bouée, ce n’est pas un dogme où tout croire et tout appliquer. C’est le dessin changeant et vivant de la construction mentale et physique d’un autre monde, où la diversité règne en maitre et où chacun peut apporter sa pierre à l’édifice.

L’unité

Je m’appuie pour cette partie sur la page 71, 72, 73 de Etre Ecoféministe Théories et pratiques.

Ce qui caractérise l’écoféminisme tel qu’il se déploie depuis ses débuts compte tout de même des point d’accord:

  • Le système: Toutes les formes de domination (sexisme, racisme, spécisme..) sont liées de façon indissociable, comme diverses facettes d’une même matrice. On ne peut donc pas les comprendre ni les abolir séparément. Il ne s’agit donc jamais d’isoler une lutte des autres.
  • La nature: c’est le cœur de la pensée, en tentant de l’envisager autrement que dans la dualité culture/ nature
  • Le féminin: il s’agit de repenser le féminin de façon positive. Et l’objectif est non pas de créer une société inversée de celle qui est actuellement masculine, mais radicalement différente. Il est aussi question de permettre aux femmes de se réapproprier leurs corps, leurs physiologies, leurs sexualités.
  • L’histoire: Les écoféministes partagent une vision pessimiste de l’histoire où les rapports de domination ne se sont jamais réellement améliorés.
  • Le changement: Que les écoféministes souhaite inferieur et extérieur. Elles aspirent à un avenir alternatif, elles tirent des leçons des révolutions passées qui ne s’attaquaient qu’à la transformation des système politique et économique. Le changement passe par l’intérieur, par nos constructions mentales, le patriarcat est en nous, l’anthropocentrisme également, il y a tout cela à déconstruire en même temps que le modèle croissant, capitaliste. Elles parlent donc plutôt de « mutation » que de « révolution »
  • L’utopie: C’est une pensée ouvertement utopiste, mais qui s’éloigne de nos « liberté, égalité, fraternité », puisque selon elles les libertés individuelles ne peuvent exister sans conscience des limites naturelles. Elles ne veulent pas non plus d’égalité homme/femme ou Sud/ Nord telle qu’on l’envisage communément puisqu’elles ne veulent pas la moitié du système patriarcale et capitaliste. Elles ne veulent pas non plus d’une fraternité qui exclut les femmes et les non humains (animaux et végétaux). Leurs valeurs ont comme pilier absolu l’abolition de la domination en elle même. Leur utopie est à voir comme la transition de notre modèle pyramidale vers un modèle circulaire. C’est un mouvement qui se revendique décroissant.

Pour résumer, une citation de Ariel Salleh dans Ecofemism as Politics

 » L’écoféminisme est un féminisme dans la mesure où il offre une critique sans concession de la culture capitaliste patriarcale depuis une perspective centrée sur les femmes. C’est un socialisme parce qu’il honore les damnés de la terre. C’est un écologisme parce qu’il réintègre l’humanité dans la nature. C’est un post colonialisme parce qu’il se concentre sur la déconstruction de la domination euro centrique »

Une application pratique inversement simple

On peut comme je vous le disais et comme l’explique Jeanne Burgat Goutal dans son livre se perdre en théories écoféministes, s’y noyer même. C’est je crois, parce que la théorie n’y existe pas. Finalement l’écoféminisme là où il a le plus de sens est dans la pratique, l’expérience. Pourrions vous faire une théorie fixe de notre monde tel qu’il est? Absolument pas. Pouvons nous faire une théorie d’une utopie d’un autre monde, dans laquelle chacun peut nourrir sa sensibilité? Absolument pas.

Pourtant il y a mille façon d’inventer un monde écoféministe dès aujourd’hui.

  • Repenser la question de travail, par exemple. Veut-on vraiment, nous les femmes, s’affranchir du travail domestique pour faire un travail qui exploite des ressources sociales et environnementales? Veut-on vraiment accéder à des postes de pouvoir et de richesse, où est ce le leurre d’un système patriarcal enrayé?
  • Repenser la question de « l’indépendance« . Ce mot que ne sait plus procéder sans l’associer à l’argent. Pourtant si on devait imaginer un monde qui s’écroule, serions nous plus indépendant en sachant faire notre pain et pousser nos légumes, ou en ayant de l’argent qui n’a plus de valeur.
  • Repenser la question de la réussite. Ce mot que l’on répète dès le plus jeune âge à nos enfants, qui ne veut jamais dire: être heureux mais uniquement être riche. Que ferons nous d’un monde où tout le monde est en haut de la pyramide, alors que le travail le plus nécessaire, indispensable, vital se trouve tout en bas.
  • Repenser la question de l’homme. Qui est lui aussi victime (même si privilégié) de ce système patriarcal, enchainé à un désir de réussite forcé. Ne pourrait il pas prendre plaisir à accomplir ces tâches si peu valorisées associées aux femmes, tel que le soin des enfants et les tâches domestiques.
  • Déconstruire la dualité. On ne sait se représenter au monde que par la domination, il n’y a qu’à regarder nos rapports parents/ enfants, humains/ animaux, ville/campagne, sauvage/ humain, noir/ blanc, homme/ femme… Ne pourrions nous réinventer une autre forme de représentation au monde, où il ne serait plus question d’échelle, d’ascenseur, de compensation, d’intégration, d’éducation, mais où chaque chose aurait une place respectable?

Pourquoi ça n’a pas conquit la France?

Depuis quelques mois (quelques années?), ce terme semble se frayer de nouveau un chemin dans notre pays. Mais pourquoi la France a tant été hermétique à ce concept?

En France, notre féminisme est héritée de Simone de Beauvoir, il est donc nourrit par la déconstruction de la femme comme élément de nature. Et cela a été fort utile comme on le sait, pour comprendre le genre indépendant du sexe, et pouvoir espérer s’en affranchir. Mais en France, nous manquons également d’une vision plus large du féminisme. Si on y regarde de plus près, le féminisme Français est très patriarcal en réalité.

Les luttes féministes telles qu’on les conçoit sur notre territoire s’articulent quasiment toujours autour de l’accès aux femmes aux postes de pouvoir, de l’égalité des salaires, de la diminution des tâches domestiques… Que fait donc cette forme de féminisme? Elle nourrit le capitalisme!

Beaucoup de féministes françaises critiquent l’engagement écologique des femmes car, inévitablement cela leur rajoute une charge, cela les fait revenir à l’intérieur et délaisser l’extérieur. La seule forme d’émancipation proposée est celle d’ingérer un modèle « masculin « de réussite. Il est également encore tabou d’évoquer aujourd’hui en France, les règles, l’accouchement, toutes ces choses physiologiquement féminines car c’est justement de l’ordre de la nature de la femme. Notre société s’est construite en opposition à la nature en générale, puis à celle de la femme (grâce ou à cause du féminisme de la seconde vague) Alors c’est difficile dans ces conditions d’admettre l’écoféminisme. Il est souvent perçu comme un retour en arrière (comme la décroissance en général), mais aussi comme un retour de la femme à des tâches aliénantes. Ce qui prouve bien qu’on réfléchit toujours selon un prisme patriarcal, c’est qu’on ne se dit jamais que les hommes pourraient eux aussi venir à l’intérieur, pourrait participer à un monde fondamentalement décroissant en accord avec la nature. Et c’est toute la pensée de l’écoféminisme, faire entrer les hommes dans le modèle genrée féminin puisqu’il est plus respectueux de l’environnement et plus utile à l’humanité.

Ma Conclusion

Premièrement je m’excuse, je pensais vraiment pouvoir être plus synthétique.

Deuxièmement il faut que je vous avoue que l’écoféminisme a fait l’effet d’une bombe intellectuelle dans mon cerveau, et si je me suis noyée dans les théories, sachez que je l’ai fait avec plaisir, avec jouissance je dirais même. J’ai trouvé dans cette pensée énormément d’approbations à ce que je ne pensais être que des intuitions personnelles. Ce que j’ai surtout aimé c’est que ce ne soit pas un dogme, c’est que je puisse construire mon propre éco féminisme.

Troisièmement, au cas où, ce ne serait pas évident, je ne pense pas que le domestique soit naturellement féminin, ou même que le soin aux enfant le soit. (Cependant je crois que l’enfantement l’est et qu’il faudrait le reconnaitre comme tel mais ça c’est un autre sujet). Par contre je pense que toutes ces tâches attribuées sociétalement au féminin (et plus généralement les fonctions de caissières, infirmières, maitresses, sage-femme etc) sont en réalités plus vitales, indispensables. Et que donc, plutôt que d’inciter dans un soucis d’égalité, les filles a prendre des postes de pouvoir, à se diriger vers des métiers valorisés par le masculin, qui exploitent l’humain et la nature, on pourrait peut être, dans un soucis d’égalité, inciter les garçons à se préoccuper de l’intérieur et de toutes ces tâches peu valorisées qui sont pourtant essentielles.

Mais tout cela: ma vision particulière de l’écoféminisme, et ma réponse au critiques particulières (qui sont très intéressantes) que l’on peut entendre, je vous le détaillerais dans un autre article… Et oui, vous pensiez que c’était fini, mais en fait non!!! 😉

Je vous mets plein de références, mais si vous ne devez en choisir que une; écoutez vraiment l’épisode des Couilles sur la Table sur le sujet.

Podcast, les couilles sur la table: Le patriarcat contre la planète

Etre Ecofeminste Theories et Pratiques de Jeanne Burgart Goutal

Francoise d’Eaubonne & l’écofeminsime de Caroline Goldblum

Sorcières de Mona Chollet

https://www.arteradio.com/son/61662635/ecofeminisme_1er_volet_defendre_nos_territoires_21

https://www.arteradio.com/son/61662820/ecofeminisme_2eme_volet_retrouver_la_terre_22

https://www.neonmag.fr/quest-ce-que-leco-feminisme-530749.html

https://soundcloud.com/presages-podcast/emilie-hache

http://www.slate.fr/story/167027/cest-quoi-ecofeminisme-pourquoi-peu-connu-france

16 réflexions au sujet de « L’écoféminisme »

  1. Bonjour pour info il y avait semaine dernière un festival sur l’Ecoféminisme en France à distance vu les circonstances : @apreslapluiefest organisé par @lesengraineuses. Je ne l’ai découvert que dimanche soir quand c’était fini mais pourquoi pas se faire une idée. En tout cas je suis contente que cela existe et le programme avait l’air très inspirant. Merci Debo pour cet article et le précédent qui m’a fait découvrir les couilles sur la table. Merci beaucoup

    1. Ah je ne savais pas pour ce festival, ça devait être intéressant.
      Avec plaisir pour les Couilles sur la table, c’est d’utilité publique!!

  2. Merci pour cette synthèse particulièrement intéressante (c’est tout de même une synthèse compte tenu de tous les éléments que tu as étudié en amont !).
    Je t’avoue qu’il y a des années, quand je n’avais une connaissance que très « française » et donc limitée du féminisme je ne me sentais pas du tout féministe, et pour cause, je n’ai aspiré à devenir un homme. Mais au fur et à mesure que j’étends mes connaissances sur le sujet je me sens de plus en plus concernée et c’est grâce à des écrits comme le tiens alors merci de prendre sur ton temps pour rendre nous ouvrir de nouveaux horizons. Après t’avoir lu je me sens très écoféministe.

    1. Oui, je me sentais profondément en décalage face à ce désir obligatoire de « réussite  » ou du conquête de la sphère professionnelle et financière des féministes. Et j’aime vraiment cette idée de changer tous nos systèmes, plutôt que de se partager à part égal un monde pourri.

  3. Bonjour,

    Je ne commente jamais et je me dis souvent « ha ben on pense pareil ».
    Merci pour cet article, j’ai mis des mots sur quelque chose que je ressens au fond de moi.
    Merci pour ce blog, et ces articles très fournis, très intéressants. Oui il faut se poser un peu pour le lire mais ça vaut vraiment le coup!

  4. Merci pour cet article très éclairant, ca m’ouvre une nouvelle fenêtre qui arrive pile poil au bon moment dans le développement de mon féminisme ! En te lisant, je me suis rendue compte combien cette lutte pour un pouvoir masculin me dérangeait dans le féminisme… et qu’il existe d’autres réponses possibles contre les inégalités et pour un monde meilleur, en valorisant les valeurs dites féminines. J’adhère complètement ! Je garde précieusement ton article et vais aller me balader du côté de tes sources. C’est toujours un plaisir de te lire (et vive les blogs !)

  5. Wouahou ! Je trouve ça passionnant de voir ta pensée féministe se préciser au fil de tes recherches et tu m’aides à me positionner aussi face à tout ça, alors merci ! le sujet me passionne mais je trouve que je ne prends pas assez de temps pour l’approfondir, tes synthèses vont être très utiles à plein de monde, je l’espère !

  6. Bonjour,
    Tout d’abord te dire que je redécouvre ton blog avec plaisir, tant les sujets sociétaux y sont bien décrits et analysés. Je découvre également la notion d’ecofeminisme, et ne peux que te conseiller le site des engraineuses et d’écouter les podcasts de leur festival après la pluie de la semaine dernière.
    Belle journée

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