Suffit-il d’être un homme pour être sexiste?

Si on peut se féliciter d’un retour du féminisme depuis Metoo, on ne peut pas occulter le fort clivage homme, femme auquel nous assistons aujourd’hui. Personnellement je suis atterrée devant les commentaires d’hommes que reçoivent certaines femmes se revendiquant féministes … Et puis je suis aussi à l’écoute de ces hommes qui se sentent perdus au milieu de ces combats.

Que se passent-ils en ce moment? Sommes nous en train de faire évoluer la condition des femmes et des minorités ou (et) de se diviser? Pourquoi revendiquer des droits, tétanise les privilégiés de notre système? Bref qu’est ce qui se passe en ce moment sur les réseaux sociaux et dans la vraie vie? Comment comprendre les méfiances, les attaques, et comment avancer tous ensemble?

Le patriarcat

Pour entrer dans le vif du sujet, je vais essayer de répondre tout de suite à la question du titre. Car c’est beaucoup trop simpliste de raisonner en terme d’hommes et de femmes, et carrément litigieux, en terme de nature ou de biologie.

Il est où le débat en fait? Ben il ne concerne pas le sexe en tant que tel mais bien le genre. C’est à dire le rôle et la fonction social assigné à chaque sexe. Cette notion de genre lorsqu’on n’a pas étudié les sciences humaines, elle n’est pas si évidente. Et je crois que nous manquons un peu de pédagogie en France, notamment à l’école. Il y a des hommes et des femmes qui n’ont pas conscience de l’influence de la culture sur leurs personnalités et leurs vies. Elles vont donc affirmer que chacun est libre de devenir la personne qu’il souhaite, que rien n’entrave nos ambitions, que tout est possible pour celui qui le souhaite. Et c’est là qu’on a un problème, non pas de communication, mais juste de connaissances. En réalité la culture fait partie de chacun d’entre nous, de façon plus ou moins consciente. On n’est pas le produit de notre caractère pur, on est la combinaison d’un héritage culturel en plusieurs strates (culture du pays, de son milieu social, de sa région, de sa famille… ) d’une histoire familiale et enfin d’un caractère personnel. C’est ce qui s’appelle en sociologie le déterminisme, il concerne sa classe et ou son genre.

Dans le cas du sexisme, on parle du patriarcat. Selon le Larousse en voilà la définition

Forme d’organisation sociale dans laquelle l’homme exerce le pouvoir dans le domaine politique, économique, religieux, ou détient le rôle dominant au sein de la famille, par rapport à la femme.

En d’autre terme le patriarcat c’est un rapport de domination où le pouvoir est assigné au genre masculin. Cela ne signifie pas que seuls les hommes soient dominants, cela signifie que ce sont les mieux placé pour acquérir les codes sociaux nécessaires au pouvoir. Les femmes qui souhaitent accéder à des postes de positions sociales de pouvoir vont devoir intégrer ces codes genrés masculins. A l’inverse il y a des hommes qui développent ou revendiquent des aptitudes et attitudes genrées féminines (et cela ne signifie pas obligatoirement qu’ils soient homosexuels ou transgenres évidemment)

Par exemple, dans mon cas en particulier, la pire agression physique sexiste que j’ai subi venait d’une femme gynécologue. Ce n’était donc pas parce que c’était une femme qu’elle n’était pas sexiste. C’était un femme qui avait intégré et normalisé une posture dominante, genrée masculine.

Conclusion: Ce n’est pas l’homme en tant qu’être biologique qui est misogyne, mais le genre social masculin qui encourage l’oppression.

Les rapports homme/ femme

Le patriarcat a imposé une dualité homme femme basée sur un rapport de domination, de force même, faisait des femmes une minorité opprimée (alors qu’elles ne sont pas minoritaires démographiquement). Les origines de cette domination sont multiples et complexes et je n’ai absolument pas les compétences de plonger dans le sujet des origines.

En revanche ce qu’il faut bien comprendre, et admettre c’est que cette dualité avantage socialement les hommes. Les hommes sont les privilégiés de ce rapport de force. Ils n’en ont pas forcement conscience et ne jouissent pas tous de ce statut de la même façon mais c’est une vérité.

Ce qu’à longtemps proposé le féminisme, est de permettre aux femmes d’accéder aux positions dominantes, sans remettre du tout en question le rapport en lui même. D’ailleurs aujourd’hui nous sommes toujours imbibés par cette idée. Une femme qui s’est émancipée est celle qui a un poste de pouvoir, délègue les tâches ménagères, nie la réalité de sa physiologie (exemple idéal : le post-partum de Rachida Dati). C’est cette position que l’on attend d’une femme féministe… en gros celle d’un homme.

Si vous avez lu mon article sur l’éco féminisme vous devez vous souvenir que personnellement je ne suis pas du tout d’accord avec ça. D’après moi le problème du patriarcat n’est pas que les femmes soient les dominées, mais bien qu’il y ait un rapport de domination. Car si les femmes accèdent désormais à des postes et fonctions de pouvoirs… elles dominent obligatoirement d’autres populations qui en sont oppressées. Donc c’est idée est totalement insuffisante. L’objectif actuel du féminisme selon moi est de proposer de sortir de la dualité.

Les hommes étant socialement dominants, ce sont eux qui maltraitent, se frottent, insultent et violent. Et cela aussi c’est une vérité. Alors certes tous les hommes ne violent pas, mais dans 95% des viols c’est un homme qui en est l’auteur. Il faut bien intégrer ces faits. Et comprendre que ce ne sont pas des déviances psychologiques qui sont à l’origine de la violence des hommes mais bien l’organisation de notre société qui la tolère, voire l’encourage. Le ‘meilleur’ sujet d’étude est l’inceste, qui est une forme de domination admise socialement avec un non dit absolu. Donc oui, les femmes peuvent affirmer qu’elles ont peur des hommes, ou que ce sont les hommes qui violent.

Seconde conclusion, bien que ce ne soit pas le sexe masculin le problème, c’est bien lui qui incarne la violence. C’est assez logique puisque c’est lui, par la socialisation qui va acquérir facilement tous les codes et mécanismes de la domination.

Les anti féministes

Naïvement, je pensais qu’il y avait un consensus moral à vouloir que les femmes soient moins opprimées. Mais en réalité je découvre chaque jour un peu plus terrifiée que ce n’est pas du tout le cas. Je vais grossièrement classer les populations anti féministes en deux. Mais n’hésitez pas à compléter ou nuancer mon propos si vous trouvez que ça manque de pertinence.

Les égalitaires ou humanistes

Il y a ceux et celles qui n’aiment pas le mot, qui ne comprennent pas les combats d’aujourd’hui puisque de toutes évidence les femmes ont les même droits que les hommes (dans les lois c’est vrai). Ils préfèrent dire qu’ils sont pour l’égalité, mais pas féministe, car ça voudrait dire que les femmes dominent et ça, ça fait peur. Ils n’ont aucune conscience de toutes les limites et oppressions que subissent les femmes encore aujourd’hui. Et dans cette population, il y a beaucoup de femmes. Elles n’aiment pas l’image de la féministe hystérique, agressive, de la mal baisée, elles ne s’identifient pas du tout à ce mouvement.

Ce premier groupe est le plus inoffensif des deux. Sa grosse lacune est un manque d’information, de documentation. Donc s’il fait un cheminement ouvert il peut sortir de cet posture, un peu candide j’ai envie de dire, pour mieux comprendre des oppressions. Mais c’est également un groupe qui peut facilement basculer vers le second.

Les masculinistes

J’ai découvert ce mouvement assez récemment au regard de mon cheminement personnel dans le féminisme, et j’avoue être toujours extrêmement choquée. Les masculinistes (qui je crois ne se revendiquent pas de ce mot… qui, d’ailleurs n’existe pas dans mon correcteur) pensent que c’était mieux avant, que aujourd’hui il y a une crise de la masculinité, que les hommes ne peuvent plus rien faire ou rien dire, qu’ils ont désormais moins de droits, moins de pouvoir, moins d’autorité.

« Il s’agit d’une pensée réactionnaire qui prône le retour à un passé fantasmé, quand les rôles étaient davantage séparés

Patric Jean, cinéaste

Ce mode de pensée succède à une pensée conservatrice, elle va souvent de paire avec des idées racistes ou homophobes. Il est question de maintenir un ordre établi est le privilège est à l’homme blanc.

L’exemple parfait du masculinisme est les groupes de pères pour la garde des enfants. (Là vous êtes en train de vous dire ‘mais non, ils sont trop mignons ces pères, ils ont raison, la justice est tellement cruels envers les pères….. ah ah ah la bonne blague, je vous laisse écouter cet épisode des couilles sur la table, puis faire une petite dépression sur l’humanité)

En ce moment cette pensée se repend comme une trainée de poudre sur Internet et les réseaux sociaux, des lieux où il y a peu de limites de politiquement correct. Le phénomène explose, des groupes cyberharcèlent les comptes féministes ou les personnalités qui expriment une position féministe… Je suis désolée de lire ces commentaires très insultants et agressifs absolument tous les jours dans les commentaires des posts ou articles féministes.

Il faut donc avoir conscience que le féminisme, alors que c’est un mouvement qui parait nécessaire, ne séduit pas tout le monde, loin de là. Qu’il y a un élan inverse dans la société, une volonté de maintenir l’ordre établi, de maintenir le patriarcat.. qui anime des hommes et des femmes.

La misandrie

La misandrie est un autre concept qu’on voit passer de temps en temps également sur la toile et qui met beaucoup d’eau dans le moulin masculiniste d’ailleurs. Ce mot désigne la haine des hommes, en lien avec la misogynie qui est la haine des femmes.

La misandrie n’a pas de conséquence sociale, à l’inverse de la misogynie, c’est un peu comme parler de racisme anti blanc. Mais certaines féministes ont eu envie de se réapproprier ce mot pour revendiquer leur peur, leur crainte des hommes (puisque rappelez vous c’est eux qui exercent le rôle dominant, qui violent et maltraitent). Ces féministes espèrent pas ce mouvement aller vers plus de sororité, en favorisant les réseaux de femmes, en court-circuitant le réseau de pouvoir habituel en quelque sorte. Et puis, ne vous leurrons pas il y aussi de la provocation dans tout ça.

Pour ma part, je n’utilise ni ce mot ni cette pensée, car je n’adhère à aucun courant pour prône la haine, même pour la blague. En revanche, j’adhère complètement au concept de sororité et même à une certaine discrimination positive pour valoriser des réseaux féminins, chercher des figures féminines, des représentations alternatives etc.

Comment être un homme feministe?

Il y a un débat actuel pour savoir si les hommes peuvent se revendiquer du mot ‘féministe’ ou pas. Alors je ne vais pas m’engouffrer dedans, personnellement cela ne me choque pas qu’un homme se dise féministe, mais ça ne me dérange pas non plus qu’on dise que les hommes sont des « alliés au féminisme ».

Par contre, au delà du mot, il est important de comprendre comment aider véritablement le féminisme. Du fait de nos éducations genrées, nous, femmes et hommes n’avons pas la même façon d’aborder les sujets et de prendre parole publiquement. Alors attention aux comportements maladroits, faussement empathique, où les hommes vont parler à la place des femmes mais avec un prisme forcement biaisé.

La meilleure attitude pour un homme est vraiment d’apprendre à écouter les personnes victimes du sexisme avec bienveillance et ouverture d’éprit.

Il y a, comme pour les femmes, un chemin de déconstruction à prendre, et à apprendre à remettre en questions certaines ‘vérités’ sociales. Mais en plus de cela, l’homme va devoir admettre qu’il est privilégié de ce système, que son regard et ses expériences sont forcement différents et qu’il ne peut pas se reposer dessus pour aider au féminisme.

Enfin, un homme peut agir en soutenant les combats que mènent les femmes sans les juger, ou même en y participant. Je pense avec sincérité que les hommes peuvent être de précieux alliés pour un monde avec moins (ou plus) de sexisme, car c’est aussi leur monde et en plus leur parole est encore (malheureusement) plus légitime que celle des femmes.

D’autre part, pour des raisons différentes, ils ont beaucoup de choses à gagner à ce que le patriarcat disparaisse, et ce sera d’ailleurs l’objet d’un prochain article! <- teasing de deglingo

Conclusion

Pour finir, je crois qu’il faut définitivement admettre que:

  • le sexe en tant que tel ne défini pas de comportement spécifique.
  • que la construction de genre est fondée sur la domination et avantage le genre masculin
  • que, oui ce sont du coup les hommes, les figures de l’oppression et de la violence.
  • mais que les femmes peuvent aussi intégrer les codes sociaux de la domination et en jouir… et donc alimenter un système sexiste.
  • et enfin, qu’il faut apprendre à déconstruire ensemble tous les mécanismes et mythes du genre pour aller vers un monde plus égalitaire.

Quelques sources:

Tu seras un homme féministe mon fils

Misandrie partie 1 puis Misandrie partie 2 chez Nos alliés les hommes

Masculinisme: attention danger

La reconquête au masculin (attention ça fait vraiment flipper)

Au nom des pères Les couilles sur la table

Qui sont les violeurs Les couilles sur la table

Les vrais hommes ne violent pas Les couilles sur la table

Comment être un bon.ne allié.e

La place des hommes dans le féminisme

Louie Media Ou peut être une nuit en 6 épisodes au sujet de l’inceste.

16 réflexions au sujet de « Suffit-il d’être un homme pour être sexiste? »

  1. C’est un sujet très complexe sur lequel je me sens souvent hésitante.

    En tant que femme de classe moyenne d’un pays aisé où la liberté a quand même une belle place, je me sens privilégiée et très peu consciente, malgré ma curiosité et mon « instruction », de la réalité connue par la plupart des femmes du monde.

    J’ai conscience en revanche de l’aspect très politique du sujet, et des excès en tous sens qu’il suscite. Pas facile de s’y retrouver.

    Ça va peut-être choquer, mais pour moi, penser que la femme peut être « identique » à l’homme est un leurre. Comme tu le soulignes, le vrai problème ne dépend pas du genre mais de la domination.
    Une femme ne sera biologiquement jamais un homme et inversement, un homme ne portera jamais de bébé, de même, psychologiquement, nous avons des réactions, une gestion de nos émotions, parfois très différentes.

    Dans mon idéal, hommes et femmes auraient conscience de leurs différences « naturelles », biologiques et psychologiques, seraient en mesure d’avoir une vraie relation d’écoute et de complémentarité pour accéder à un équilibre social.
    Par ailleurs, plusieurs lectures en ce sens me confortent dans l’idée que chaque individu héberge symboliquement 2 polarités : une polarité féminine (posture d’écoute, de soin, de création, d’accueil et d’ouverture, fonctionnement cyclique) et une polarité masculine (initiative, action, force combative, fonctionnement plus linéaire…). La société que nous connaissons incite à ne développer que la polarité qui correspond à notre genre biologique, en quelque sorte. Alors que, je le crois de plus en plus, chacun et chacune a la possibilité d’équilibrer ces polarités en lui/elle.
    Paule Salomon aborde l’idée d’un « couple intérieur ». Moi, ça me parle beaucoup.

    Merci d’avoir ouvert ce débat épineux.

    1. Je suis totalement d’accord avec toi. Pour moi, il faut vraiment comprendre et visibiliser la physiologie féminine (puberté/ ménopause, règles, grossesse etc.) Il faut admettre que le corps dit féminin connait une vie physique riche et complexe, c’est important que les femmes et les hommes en aient toute conscience.

  2. Super article, la première partie notamment présente des choses qui ne sont pas si simples à expliquer très clairement ! Bonne journée à vous.

  3. Merci beaucoup pour cet article et ses références qui m ont ouvert les yeux sur le dix-huitième siècle que j ai beaucoup apprécié pendant mes études de lettres et qui m a bien sûr été enseigné d un tout autre point de vue. Je me perçois comme féministe mais cet article me montre combien j ai encore à apprendre et réfléchir pour comprendre l ampleur du sujet. Anecdote personnelle : je louais auprès d une connaissance la « mode » d être libre de ne pas porter de soutien gorge et elle m a répondu  » ah oui c est encore un truc de féministes ça, moi je trouve ça pas joli! »….c est pas gagné !!!!!!

    1. Oh non ce n’est pas gagné.
      Et puis la tendance est tellement à la division en ce moment que c’est difficile d’avancer

  4. Très intéressant… merci pour ces articles très bien documentés et synthétiques ! Ils m’aident à structurer ma pensée et m’aident à comprendre pourquoi j’ai tant de mal à me situer dans tout ça ! que le sujet est vaste et complexe !!

  5. Merci pour cet article. J’ai hâte de lire la suite, car oui, la fin du sexisme est un combat à mener par les hommes et les femmes, ensemble !
    À très vite

  6. C’est vraiment super interessant. Merci! Je sens mon mari faire vraiment partie de cette catégorie que tu cites en intro mais dont tu ne reparles pas trop dans le reste de l’article « ces hommes qui se sentent perdus au milieu de ces combats. »
    Il fait « malgré lui » partie des males blancs dominants et il est heurté parfois par les images qui lui sont associées (violeur, attoucheur…) et l’explosion des affaires en ce moment lui font peur dans ce sens où il a l’impression que si il était accusé (à tord) il ne pourrait pas se défendre
    Alors à titre collectif c’est un juste retour des choses, à titre personne je le sens perdu. Et en même temps malgré toute l’ouverture et la non domination dont il fait preuve je sens combien l’éducation et la culture l’a façonné (tout comme moi) et combien il est est irréaliste quant à ce que les femmes subissent au cours de leur vie. (ça nous a valu une discussion haute en couleur d’ailleurs)
    Bref on a tous à cheminer !

  7. Merci pour vos partages. J’attends la suite avec impatience, merci pour vos éclairages précieux qui alimentent les réfléxions!

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